Carnet

Subliminale

Trick AND Treat ! Une histoire inédite de Halloween
(hommage discret à Jacques Tourneur)

Subliminale

Elle fume devant la porte.
Une voiture passe dans une flaque.
Son reflet se froisse.
La cigarette, dont elle n’est pas certaine qu’elle ne soit pas une projection du dernier film qu’elle a vu, tombe.
Dans la grande maison, il n’y a que des films en noir et blanc, dans lesquels on fume.
Elle se désintéresse la plupart du temps de l’histoire, extrapole la couleur des vêtements, des lèvres.
Les hommes se maquillaient-ils ?
Il semblerait. Leurs yeux sont cernés de khôl.
Les visages blancs, les vêtements haineux d’ampleur.
Des corbeaux au nez fin, aux mèches luisantes.
Regarder ces films gris la délasse des photographies de famille qu’elle s’occupe à trier en attendant le camion.
On ne se photographiait, semble-t-il, qu’en groupe.
Seuls quelques noms figurent au dos des foules pressées pour entrer dans l’étroit point de vue.
Elle se demande si l’on nommait les personnes les plus importantes ou bien au contraire les périphériques, dont on risquait d’oublier l’existence.
Elle est seule dans la grande maison de la défunte.
Lorsqu’elle a accepté de la vider, elle ne se doutait pas de l’ampleur de la besogne.
Une large bibliothèque de VHS aux bandes abîmées (tous les films ne mènent pas jusqu’à leur fin).
Des flacons de morphine.
Des meubles entassés sans amour dans une vaste cave saine.
À l’étage, leur miroir soigné : polis trop polis. Une exhibition de bois tourné, fauteuils aux hanches larges, un piano à queue.
Dans ses rêves, de plus en plus fréquents à mesure que la lune s’emplit, les noms défilant sur les crédits de films (des cartons) se mêlent à ceux des photos. Huguette O’Connor, Humphrey Lalonde, Bernie Patissan, Simone Haunt.
Simone Haunt ne provoque aucune dissonance.
De rêve en rêve, elle laisse le personnage s’épaissir.
Elle n’aurait pas du.

*

Autour du manoir, l’ancien village s’étend de vrilles en ruines pâles. Amoncellement de briques têtues, aux formes comme des savons rognés, à la couleur du sang dilué.
Elle fait des cartons, trie les meubles, fume et regarde des films et trie des photographies.
Toujours les mêmes, semble-t-il.
Les mêmes photos.
Les mêmes films.
Un jour qu’elle empile des conserves destinées à la banque alimentaire, Simone Haunt lui parle.
Elle projète une ombre sur un mur, comme la prédatrice de 'Cat People' (était-ce 'Cat People' ?) et l’avertit.
Elle dessine l’ombre et oublie l’avertissement.
Cette nuit-là, elle ne rêve pas.
Le lendemain, c’est la pleine lune.

*

Elle se lève avec bonne humeur.
Tout est empilé. Une vie entière de femme morte vieille. En larges tas étiquetés.
Elle a prévu de partir dans la soirée.
Le ciel est voilé.
Un camion passe vers midi, on charge les livres, les vêtements, les conserves, les beaux meubles (le piano, hélas, n’entre pas).
Les manutentionnaires repasseront prendre le reste, destiné à la décharge, en fin d’après-midi.
Le véhicule s’éloigne dans la pluie battante.
Huit coups à l’église du village voisin, portés par le vent. La camionnette n’est pas repassée.
Elle rallonge et réchauffe la soupe de la veille, se coupe quelques tranches de pain complet, mâche, déglutit, attend.
Dix coups.
Elle enfile sa doudoune et cherche à tâtons son paquet de cigarettes.
Sa main va jusqu’au fond du paquet, au fond de la poche, touche des poils.
Une toison chaude ne lui appartenant pas.
Un chuchotis à son oreille. Elle se retourne. Des yeux l’inspectent, sans aucun sens que leur propre lumière.
Derrière, il a cessé de pleuvoir.

*

Elle s’éveille sur un monceau de meubles, se redresse, la tour vacille.
Le souffle court, elle plie les genoux, écarte les bras, à l’équilibre, n’ose plus bouger.
La pyramide précaire est haute, bien plus que la maison. Du sommet, elle distingue le clocher de l’église voisine, qui sonne sans discontinuer. Du reste, seulement des toits.
Des créatures dansent au pied du bûcher.
Elle se surprend à penser qu’il s’agit d’un bûcher. Puis, seulement, remarque l’anomalie.
Tout est gris.
Le monde est constitué, semble-t-il, de ce qui s’étend entre blanc et noir.
Comme les yeux, la peau, les cols amidonnés de Simone Haunt.
La femme lui parle à nouveau, ombre de lune pleine projetée sur le sol.
Dessine-moi. Dessine-moi encore.

*

Elle s’éveille face à la chose aux yeux-phares, les genoux ployés, les bras écartés.
Le monde vacille. La bête est droite. D’autres créatures identiques, œil d’or dans visage charbon aux contours indistincts, sont campées derrière la première.
Elle hurle.

*

« Le monde glisse inexepliquablement de la guerre à l’après-guerre, et vice-versa. » disait l’avertissement.

*

Le monde a glissé jusqu’au grand piano, flanquant l’écran, du petit studio de la RKO.
On y montre les rushes à l’équipe, aux producteurs. Ces derniers sont toujours mécontents.
On y fume.
Simone écrase sa cigarette dans le lourd cendrier de bakelite, laisse tourner la bobine (du blanc puis tout se qui s’étend du blanc au noir) le temps que la salle se vide. Elle aimerait ôter les couleurs au monde, gageant que la vie serait plus belle ainsi.
Elle marcherait dans l’ombre. On ne la verrait pas. Les hommes ne la verraient pas.
Une jour, une personne à l’œil acéré, au désespoir qui l’est encore plus, remarquerait son esprit.
Elle baignerait ainsi, dans une postérité imagée, comme une cellule dans sa culture.
Une nuit, le tournage est spécialement tendu. Tel réalisateur fatigué, tel acteur à l’âme non pliable, une dispute. Simone se place devant la caméra, le visage voilé par de la tulle rose, qui serait noire à l’écran – l’autre côté des choses l’est toujours.
Simone prononce, de sa bouche en transparence fumeuse, des mots incompréhensibles. Ronds, parfois ovales.
Dessine-moi. Dessine-moi encore.
Puis un avertissement.

+

Sophie

Sophie

You know her haircut. The lack of symmetry, the far-stretched nonacceptance. You know her and her kind.
Sophie.
For some time she was your Night Mare, the one running at night and sucking the air out of your mouth.
And yet here you are, perplexed, before her tomb. She never had anywhere else to go, really. She could have become. An aunt. A disastrous Sunday painter. The crafty of the band. Journalist. Sire to a group of night-winged writers.
No.
She is half an afterlife prison in the airy Friedhof am Perlacher Forst. Hope and despair: the right mélange. Half-half when you were only filled with syrupy…

#

You have forgotten what filled you then. You solely remember the texture of it. Thick and sweet. Not a nice sweet.
You do not deserve to cry before her branchy tomb that is only half of one, the other half being Hans, the brother.
You do not deserve this unlocking release. The reflexive beauty of liquid sadness. Too innocent, immature and wet. Too much like Sophie. Unreif. You are reif. Withered. Battered.

#

A woman comes. She brought a pebble engraved with a silly rimy thing that makes your heart squeeze your lungs in an effort not to laugh. Did she see the monument to the victims of nazism, a few feet away? How devastated and overgrown? Amidst the flat gravestones which bear no name, a mossy fountain.
Not the good kind of moss.
A broken fountain.
Someone has put a rusty pipe on top. Is this piece of junk guilty? Will cleaning this pipe, scraping this pipe, replacing this pipe rejuvenate the structure? Make it surge? What if it is too late and nothing can be done?
February 1943.
It is a broken spring.

#

The woman leaves. We pass each other. She did not see you like I do. She has no eyes for ghosts. Most people do not.
The cemeteries are not the most spirit-crowded places. The only one floating in here is you.As a matter of fact, I cannot speak for you. I do not read your mind. No more than I can the living.

Yet I know who you are.

Jakob Schmid. February 1943. 18th. 11:15. You see Sophie and Hans throwing leaflets on the pavements. You are the janitor. This is your University. These are your pavements. You shout at them. They do not try to escape. You bring them to Albert Scheithammer. Who brings them to Ernst Haeffner. Who calls the Gestapo. You are thanked. You receive 3000 RM. You are hurrahed. You salute the crowd, stretching your right arm into this echoing void that swallows every streched arm. After the war, you tell the judge it was simply forbidden. To throw leaflets. You grabbing the kids had nothing to do with politics. Only with respect.

On 21 February 1943, one day before her beheading, Sophie Scholl tells the judge:

Somebody, after all, had to make a start.

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Porter nos voix

Volutes c’est un podcast pour penser les imaginaires politiques. On vous propose de plonger dans les pensées d’auteurs et d’autrices qui combinent créativité, puissance des mots et engagement politique. Dans ce premier épisode, luvan, autrice, raconte comment porter sa voix, tant politique que créative.

Stuart Calvo et Martin Bodrero m'ont donné carte blanche pour ce premier épisode.

Mes invitées :

  • Iris Lafon est chercheuse en histoire de l’art contemporain et commissaire d’exposition indépendante. Elle travaille en particulier sur le domaine de la fan-fiction.
  • Valérie Leclercq, alias Half Asleep est musicienne. Elle est également historienne.
  • Ensemble, Valérie et Iris sont curatrices du projet Ladestructiondesespacesvides.

Nous nous sommes demandé comment habiter le chœur mondial, faire qu’il sonne toujours mieux. Comment le laisser habiter. Et puis ce qui grésille, ce qui manque. Les failles autour desquelles il se construit, et qui le constituent en creux. Dans ce premier épisode, il est question de fan fiction, d’archives queer, des inconnues de l’histoire, de musique et de poésie. On y entend en avant-première des extraits du prochain album de Half Asleep, The Minute Hours / Les Heures Secondes.

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Almanach1509

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Cassandre

Composé pour le spectacle Troi(e)s et publié dans le beau livre TROIE Cassandre a commencé une autre vie sur Internet.

Un récit s'écrivant sous vos yeux, à la vitesse où je l'entends.

C'est ici.
APPUYEZ SUR LA BARRE ESPACE pour lancer l'animation.

Codé en Markdown par Nico Chesnais

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Les Pierres

Les Pierres est un texte de nonfiction intéractive consacré aux peintres de nature allemands de la fin du XIXème siècle.

C'est gratuit et propulsé ici-même ou depuis le site du Feu Sacré, qui a édité ce texte sous la référence : LFS0X1.

Voici ce qu'en dit Aurélien Lemant :

Dans ce dédale de galeries d’art de la Lebenbachhaus de Munich où s’enchevêtrent en arborescences muséales les œuvres exposées, leurs auteurs et les rêveries qu’ils produisent, la narratrice se démultiplie en autant de points de vue qu’il existe de façons de regarder. Partout où elle(s) pose(nt) les yeux dans cet ordre virtuel inspiré par le chaos, ça sent la roche, le minerai, la pierraille qui, jadis portée à même la bouche, appelle une transformation de la langue pour écrire ce qu’elle fait à l’œil.

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Almanach 2019

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Another Communist Horror Story

"Another Communist Horror Story is another communist horror story about child labour, deep mining, gold lust, human sacrifice and antediluvian entities lurking in the dark."

Composed for Radia.

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