Carnet

Tako Tsubo 1/2

Tu entres dans un gymnase. Ça sent à parts égales le bois et le plastique. Le bruit des gymnases, du dehors, s’annonce caverneux et sourd. Brut, un fleuve sans lacet. Tu as des photographies en tête, mais pas de bruit. Photographies de femmes et d’hommes nus qui dansent au sommet froid d’une montagne froide du Tessin. Monte Veritá. Des corps balancent, noirs et blancs, qui n’ont aucune voix. Tu peines à les imaginer râler. Pourtant ils soulèvent des poids et courent, dansent. Dans les films de super héros non plus, on n’entend jamais les bronches épuisées se soulager. La petite agonie de ne pas avoir assez d’air n’existe pas à l’Hollywood des grands singes. Ici non plus, dans ce gymnase. Tu entres et HA. Des photos de nus expressionnistes, antiques et silencieux en tête, tu es surprise de la clameur de ces presquenus-ci et tu grinces. Du dehors, en façade, des statues massives et musclées donnaient l’illusion auditive d’un boucan minéral et net, qui laisse peu au désordre, tient de la hanche droite, tient du Black et Decker, du bracelet de force. Tu entres et rien de tel. Pas de grognement. Mais des cris suraigus qui font à tes oreilles comme la poudre explosive quand tu termines un bonbon explosif. Tout à la fin. La surprise. Une palpitation mince, rapide, hachée, qui te fendille la langue sur un plan microscopique. Tu entres dans ce gymnase et c’est tout pareil à l’oreille. Pas le lourd attendu d’un Conan en ruth d’épée, mais au contraire un filet qui s’étire à s’en évaporer la fibre. Suivi d’un autre. Les tympans étourdis, tu prends du temps à comprendre. Ici se déroulent les championnats de Kendo féminin. Les combattantes hurlent et ta nuque se soulève de duvet dru. Toute ta nuque. Le reste de ton dos suivrait s’il était poilu. Tu es entrée dans le cri des femmes, sans défiance, par la porte soutenue de nus masculins si musclés qu’ils semblent éventrés. Les cris te hissent par les poils, des larmes te viennent aux yeux, comme sous l’onction piquante d’un piment. Tu es entrée dans le cri des femmes. Tu as déjà vu des compétitions masculines de Kendo. Leurs cris, leurs Kiai étaient différents. Comme creux. Comme des bagues dont on aurait ôté le diamant ou une flamme d’allumette handicapée très petite, dont on aurait extrait la partie bleue. Kiai signifie concentration d’énergie. Tu te dis qu’en français Kiai et Cri sonnent pareil, mais Ki sonne encore mieux. Comme Ankou sonne mieux que mort, Aïe que douleur, Amok que folie. Et Shrei encore mieux que Kiai et Cri réunis, et par là que Cry. Mais grosso modo, Cri sonne mieux que Hurle. Hurle serait à Conan ce que le Kiai serait à la kenshi.
Au détour d’Internet, à la recherche d’instruments archéologiques, tu as découvert le son terrifiant du Sifflet de Mort aztèque. Un petit pipeau de glaise, trappu, à l’allure de verre à cocktail Hawaï façon tiki-tiki. Il t’a retourné la peau du dos, tout comme le Kiai des femmes kenshi. Tout pareil, effrayant parce que strident. En cherchant la trace de cet instrument, tu tombes par hasard sur un site retraçant l’histoire des cris de guerre. Tu penses lire ce que tu sais déjà et confirmer ce que tu as subitement compris dans ta chair en débarquant sans invitation dans cette compétition de Kendo. Les Harpies. Les Banshees. Querelle de Babylone. Discorde de Grèce. « […] la Discorde infatigable / Tout à la fois compagne et sœur de l’homicide Arès, /Qui d’abord se dresse timidement, mais qui bientôt / Touche du front le ciel et de ses pieds foule la terre. » « Enyó est accompagnée du tumulte affreux des batailles ». Les Grecs avaient une déesse à part pour le cri de guerre. La bien nommée Alala. Tu penses aussi immanquablement à la chevauchée des Walkyries et au début du très célèbre acte III de La Walkyrie, de Wagner, que tu écoutais totalement transie, toute petite, sur la chaîne de tout père. Tu ne comprenais pas l’Allemand, alors. Tu pensais que les paroles de Gerhilde, que tu décryptais sur le livret, étaient ultra puissantes. Hojotoho ! Hojotoho ! Heiaha ! Heiaha ! ; Son écho chez Helmwige : Hojotoho ! Hojotoho ! Heiaha ! Puis chez toutes les autres : Heiaha ! Heiaha ! Plus tard, tu as découvert qu’il ne s’agissait « que » de cris. Et tu as compris pourquoi on ne les sous-titrait jamais. Enfin. Tu lis avec avidité le site apparu par hasard et rien. Aucun nom féminin. Tu clignes plusieurs fois des yeux, interloquée, comme tu as vu faire les gens dans les séries américaines, et tu penses seulement à regarder le titre du site. The Art Of Manliness. Ah oui, forcément. Tu y apprends que pour augmenter ta testostérone, tu dois manger équilibré, prendre de la vitamine D, faire du sport, mais pas trop, bien dormir, gérer ton stress, éviter certains produits chimiques dont tu lis pour la première fois le nom, avoir des relations sexuelles plus fréquentes (le site devine donc la fréquence des rapports sexuels de chacun de ses visiteurs et en déduit immanquablement qu’il lui en faut plus) et prendre des douches froides.

Un jour, en cours de I-ai, tu as poussé un Kiai. Yuki, qui organisait l’exercice, ne t’a pas avertie de ce qui sortirait. Elle a dit : « par le thorax ». Tu as fait ton geste (un coup à la tête) et crié du thorax. Tu as perdu le contrôle de ta force. Ton sabre en bois a fendu le parquet. Tu as pleuré. Enfin pas vraiment. Tu as fui par les yeux plutôt. Le silence, très long, qui a suivi ton kata, tu ne l’oublieras pas. Le visage des autres, blanc. Tu lis les commentaires sous une vidéo de championnat féminin de Kendo. Au Kendo, apprends-tu, il existe trois Kiai. Seulement trois ? Un par type de coup. Ils sont obligatoires. Si tu touches sans crier, ton coup ne compte pas. Tu gagnes par le cri. Les commentaires sont unanimes. Les filles font plus peur que les garçons. Les filles se battent mieux. Les filles se battent pour de vrai. Pour de vrai.

Ce texte est la première entrée d’un journal de recherche réalisé dans le cadre du projet radio Tako Tsubo, créé avec Chloé Despax et Lenka Luptáková, et faisant partie de la série FFR.

Le Ki-Ai
Women Kendo Championships 2010 - Final
KENDO 16th World Championships - WOMEN

Le Sifflet de mort aztèque

Comment fabriquer son propre Sifflet de mort.

L’Acte III de la Walkyrie par le duo Boulez-Chéreau

L’art d’être un homme

Je ne sais pas qui a peint l’aquarelle de la déesse Alala.

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Tako Tsubo 2/2

Printemps silencieux, c’est le titre d’un des livres les plus importants du XXème siècle.

Quasi-introuvable en France de nos jours, Silent Spring de Rachel Carson, publié en 1962, a provoqué l’interdiction du DTT.

Le terme « printemps silencieux » désigne pour la biologiste Rachel Carson un monde sans oiseau. En introduction de son long procès poétique au DTT, A Fable for Tomorrow (Une fable pour demain), Carson nous déplace dans une campagne américaine défaite de ses bêtes. Les bas-côtés sont ras et sans joie. Les poulaillers vides ou mi-remplis de poules faméliques. Elle nous prend la main et nous marchons dans une extermination. Dans ce monde-là, tout est silence car il n’y a pas de bête. La dystopie servant de démonstration séminale au livre est le résultat de toutes les exterminations cumulées. Rachel Carson nous explique que les pesticides n’existent pas car les pestes n’existent pas. En nommant le DTT biocide, elle ne commet pas tant un putsch sémantique qu’une extirpation. Seule cette violence permet à ses mots de s’imbriquer parfaitement à sa pensée et à la nôtre, comme une lame du bistouri tracerait dans nos gorges un second canal. C’est l’identité absolue MotsDeCarson = PenséeDeCarson = NotrePensée = NosMots ; et l’immédiateté parfaite de cette imbrication parfaite, qui fait la force qui fait la violence de Printemps Silencieux. Le monde absolument silencieux de Printemps Silencieux, nous en avons l’intuition, comme nous avons l’intuition du Mordor et du Pays D’Oz. Et la terreur du Printemps Silencieux est plus plantée en nous que celle du noir. Le noir invite à ne pas tenter de comprendre notre environnement. Oz nous ignore. Nous lui sommes indifférent·e·s. Et nous avons l’intuition de cette extirpation surnaturelle pour la simple raison que nous aimons le monde plus qu’il nous aime, et nous le savons. Il pourrait se passer de nous. Nous pas. La réussite fulgurante de l’essai de Rachel Carson n’est pas dans ce qu’il énonce, mais dans sa façon d’exhumer une terreur plantée en nous comme condition même de notre existence : nous allons mourir, le monde va continuer. Si nous endommageons notre environnement, le monde va s’organiser pour nous raccompagner plus ou moins gentiment vers la sortie. Parler d’interdépendance en écologie, c’est partir du principe qu’il y a nous et l’environnement. Une nature et une culture. Que ces deux personnages joueraient tantôt au ping-pong tantôt au docteur. Printemps Silencieux a simplement acté que seul l’aveu de notre vulnérabilité nous permettra de survivre. Printemps silencieux, c’est l’inverse du moto Survival of the Fittest babbelé par les fachismes, les théories économiques dites « classiques » et tout ce qu’on a mis sur le dos de ces malheureux Darwin et Nietzsche. Printemps Silencieux réussit l’exploit de nous faire avouer notre peur profonde de l’extirpation. Et cet aveu au forceps, Rachel Carson — qui par ailleurs était l’une des biologistes les plus badass de son temps et donc savait de quoi elle causait — le réalise par un processus narratif et par des choix de mots épatants de simplicité. J’ai déjà causé de la forgerie géniale du terme « biocide ». Rachel Carson a fabriqué un autre artifice, encore plus fabuleux. Printemps silencieux prétend désigner un monde sans oiseau. En réalité, c’est un monde sans nous. Vous entendez comme vous n’entendez rien ? Dans cette anti-campagne que sont devenus les États-Unis d’Amérique ravagés par les biocides, on devrait entendre des moteurs ronfler, des gamins piailler, nos animaux domestiques se disputer le bout de gras. Mais nous n’entendons que le silence. Nous sommes les fantômes de ce monde-là. Nous ne sommes plus là. Nous ne sommes plus. Lorsque Rachel Carson écrit « It was a spring without voices », nous pensons, de façon épidermique, aux oiseaux. Car c’est d’oiseaux dont elle parle. De façon viscérale néanmoins, nous savons qu’elle parle de nous.

« Chaque mot doit être passé au crible », écrit Monique Wittig dans Les Guerrillères.

Complètement démoli par la presse, massacré par les scientifiques financés par les industries chimiques et agricoles, Silent Spring est malgré tout devenu un best seller. Tant et si bien que l’opinion publique a fait pression sur le gouvernement américain. Tant et si bien que les DTT ont été interdits, et continuent aujourd’hui de croupir dans des silos scellés.

Rachel Carson est l’une des premières lanceuses d’alerte. Sa voix était en dissonance avec la grande symphonie survivaliste de son temps. Il fallait reconstruire, bouffer, produire, soigner. Les Alliés n’avaient pas simplement vaincu le nazisme, ils avaient vaincu la mort. Et Rachel Carson disait en substance, perfide fourmi : « et bien mourez, maintenant ». Dans ce contexte, la voix de Rachel Carson était totalement divergente. L’ordre établi s’est donc organisé pour la disqualifier. Accusant son gros bouquin sérieux, pourtant gavé de grosse science sérieuse, d’être poétique — ce qui justement, comme je viens de tâcher de le démontrer, lui donne toute sa puissance — l’ordre établi a taxé Rachel Carson d’hystérique.

Hystérie.

Définition du clinicien Antoine Poirot.

Disposition mentale particulière qui porte certains sujets à présenter des apparences d’infirmité physiques de maladies somatiques ou d’états psychopathologiques.

Je ne résiste pas à la tentation de vous passer cette vidéo accablante :

Va-t-elle se ruer sur son adversaire ? Lui arracher sauvagement l’oreille des dents ? Être secouée de convulsions ?

La disqualification persistante, de la part d’une partie de la population, de la voix publique des femmes (entre autres voix non entendues) n’est pas à démontrer1. Et l’une de ces disqualifications consiste précisément en un lâché de ces gerbes-ci : charabia ; hystérique ; émotionnel.

Dans Une voix différente, paru en 1982 aux États-Unis, en 2008 en France, Carol Gilligan s’attaque à ce roc, ce pic, ce cap dans la chaussure de nos sociétés. Selon elle, en disqualifiant la voix des femmes, c’est avant une vision du monde alternative qu’on censure.

La voix différente que je décris n’est pas caractérisée par son genre mais par son thème. Qu’elle soit associée aux femmes est le résultat d’une observation empirique.

Elle part des travaux sur l’éthique et la morale de Lawrence Kohlberg. Le bonhomme, après avoir soumis des gamins à un test bien connu, en déduit que les petits êtres masculins ont un sens de l’éthique élevé, parce qu’ils ont connaissance de principes et de certitudes immuables, et qu’ils sont capables de les instrumenter pour savoir à coup sûr ce qu’il convient de faire. Tandis que les petits êtres féminins stagnent à un stade pré-moral, se situant au niveau 3 de son échelle, la mirifique Échelle de Kohlberg. Les petits êtres féminins émettent souvent « je ne sais pas » et « ça dépend », preuve de leur immaturité. À la question « Un homme a le choix entre sauver la vie de sa femme en volant un médicament outrageusement cher et s’abstenir de voler pour ne pas enfreindre la loi », le garçon répondra en général « Il doit voler car la vie est plus importante que la propriété privée », là où la fille dira « ça dépend ».

Examinons le cas d’Amy.

Amy, nous résume Pascale Molinier, se lance dans une série de considérations imprévues. Si Heinz vole et qu’il se fait prendre, il ne pourra plus aider sa femme. Aussi Amy donne-t-elle une voix à la femme malade : Heinz devrait lui en parler avant de décider. Quant au pharmacien, de sa position individualiste dépend l’ensemble du problème. Pour Amy, il ne s’agit pas de débattre des valeurs comparées de la vie et de la propriété en comptant sur la magnanimité de la loi placée au-dessus des principes pour les arbitrer, mais de réaliser un arrangement entre humains en faisant appel à leurs responsabilités respectives. Cette modalité de la pensée apparaît de prime abord moins morale, plus modeste, hésitante et non reproductible : ‘ça dépend’ est une formule qui revient fréquemment dans la bouche d’Amy prenant à revers toute visée universelle. Il s’agit d’une autre posture éthique, beaucoup plus ambitieuse qu’il n’y paraît : la voix différente exprime une critique de l’individualisme et de l’autonomie au profit d’une reconnaissance de nos interdépendances et d’une redéfinition de ce qui compte dans nos vies.

Pensée complexe.

Il est intéressant de constater que Kohlberg ne réserve pas le niveau 3 de son échelle qu’aux femmes. Elles partagent leur perchoir, pour plein de raisons sociales que Kohlberg base sur le présupposé que la famille est par essence un endroit de justice, avec les populations subalternes en général.

Dans Les subalternes peuvent-elles parler ?, publié en 1988 aux États-Unis et en 2006 en France, Gayatri Chaktravorty Spivak raconte cette histoire :

Il s’agit de l’histoire d’une jeune Indienne qui s’est pendue en 1926. Sa famille, ses proches, ont expliqué ce suicide par le fait qu’elle devait avoir une relation amoureuse illégitime. J’ai fait ma propre enquête et découvert que cette personne était en fait impliquée corps et âme dans la lutte armée pour l’indépendance de l’Inde. Et la véritable raison de son suicide, ce n’était pas, comme tout le monde l’a cru, une forme de suicide correspondant à l’idéologie du sati - un rituel indien suivant lequel une veuve devait accompagner son mari dans la mort en se jetant dans les flammes de son bûcher funéraire - mais parce qu’elle avait échoué à assassiner un responsable politique ! La ‘morale’ de cette histoire, c’est que le suicide de cette Indienne n’était en aucune mesure identifiable pour ce qu’il était, c’est à dire comme un geste radical de révolte et un message de protestation politique. Cette subalterne parlait, pourtant - elle avait laissé une lettre à sa sœur pour faire en sorte que les raisons de sa mort ne soient pas ambiguës -, mais nous n’étions pas capables d’achever cet acte de parole, de le traduire, car personne ne pouvait l’entendre.

Dans un entretien à Philosophie Magazine, Spivak établit un parallèle entre cet acte politique disqualifié et le suicide du Tunisien Mohammed Bouazizi, en 2010, qui fut l’un des déclencheurs de la révolution tunisienne et du printemps arabe. Elle explique :

Non seulement son acte de parole radical a été imité par des dizaines d’autres personnes dans le monde arabe, mais il a surtout été ‘entendu’ par une infrastructure politique préexistante. Et celle-ci, du fait de sa capacité d’écoute, a été ensuite en mesure de lui faire écho, de le compléter et finalement de le prolonger à travers des actes révolutionnaires dont le rayon d’action a dépassé, tout en l’englobant, la seule catégorie de population que l’on peut définir par le terme ‘subalterne’.

Certains printemps sont plus silencieux que d’autres.
~~~ Là, c’est le moment du film où tu penses que c’est fini. Mais non. ~~~

Je laisse reposer l’information pendant la nuit. Le lendemain, je me réveille énervée. Je suis énervée parce que Spivak, en nommant Bouazizi mais pas la jeune femme en question, illustre elle-même ce qu’elle dénonce. Je fouille Internet pendant un bon moment dans l’espoir de déterrer le nom de cette activiste baillonnée. Une bonne heure plus tard et les nerfs en pelotte, je tombe sur cet aveu de Spivak auprès de The Hindu :

Cette femme…, dit Spivak, la femme qui s’est pendue dans Les Subalternes peuvent-elles parler ? était en réalité la sœur de ma grand-mère… donc elle était de ma famille. Je ne l’ai jamais mentionné, d’une part car j’avais le sentiment que ce n’était pas approprié. D’autre part, je voulais que les gens réagissent sans faire preuve de l’espèce de bienveillance qu’ils accordent, par exemple, à une Patricia Williams ou une Saidiya Hartman du fait qu’elles évoquent leurs propres liens familiaux à l’Histoire. Donc je pense avoir pris la bonne décision.

Et là, j’ai vraiment juste envie de pleurer. La parole de cette femme a donc été tue deux fois. La première parce qu’elle n’avait pas le droit de jouer dans la cour des grands (dans son cas, les colons en particulier et les hommes en général). La seconde parce que la femme qui dénonce précisément le mur anti-bruit construit autour de la cour des grands — dans laquelle à force d’opiniâtreté et de talent elle a fini par entrer — a tellement peur d’être jetée par la peau des fesses hors de cette cour, d’être reléguée au niveau 3 de l’échelle de Kohlberg, qu’elle commet un contre-exemple dans le seul but d’adopter une voix rationelle, non émotionelle, anhystérique. Ne pas parler de sa famille non. Ne pas être suspectée d’être um Mensch en liens d’amour avec d’autres.


ACTUALISATION JUIN 2020 : Hourrah ! Printemps Silencieux a été réédité en France chez Wild Project


1 Pas à démontrer dans le sens où il y a d’un côté celles et ceux qui le vivent ou le constatent ; de l’autre celles et ceux qui disent « Meuh non n’importe quoi ». Et quelles que soient les études statistiques chiadées qu’on leur montrera, les second·e·s diront toujours « Meuh non n’importe quoi ».

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